Une journée riche en émotions !

Il n’est pas facile de faire un « reportage photo-vidéo » lors d’une visite de l’Abbaye de Clairvaux, car la première chose que l’on découvre en achetant ses billets, ce sont les règles strictes qui couvrent les visiteurs et parmi elles, une interdiction formelle de prendre des photos. Mais pourquoi cette interdiction ? « C’est une question de mesures de sécurité, Madame », me dit-on.

Pourquoi ai-je visité Clairvaux?

Je dois être honnête, lorsqu’en juin 2015, des publicités sur les festivités de Clairvaux ont attiré mon attention, sous des titres accrocheurs comme « L’abbaye de Clairvaux fête ses 900 ans, « Clairvaux 2015 » ou encore « Clairvaux, l’aventure cistercienne », j’ai immédiatement pensé : « Mais quand même, Clairvaux n’est pas une prison ? » Internet étant là pour répondre à nos questions, je l’ai utilisé pour apprendre que l’abbaye fondée par Bernard de Clairvaux il y a 900 ans est effectivement devenue une prison il y a 200 ans. Qu’il y a quarante ans, la prison a été retirée au profit d’une section modernisée, et qu’à Clairvaux, toujours propriété de l’État, le ministère de la Justice a ensuite passé le relais au ministère de la Culture, qui a entrepris d’importants et coûteux travaux de rénovation de l’abbaye. La photo la plus souvent affichée à l’occasion de cet anniversaire étant celle d’une magnifique salle voûtée d’une étonnante pureté, j’ai définitivement oublié son côté carcéral.

1

Pourquoi suis-je ici ? Le déclic qui m’a envoyé explorer les choses par moi-même s’est produit lorsque, début juillet, dans le journal Est Eclair, est apparue la bande dessinée de l’été : « L’abbaye de Clairvaux, corps et âme. De l’histoire à la fiction ». D’emblée, une atmosphère de mystère se dégage de cette bande dessinée, d’autant plus sombre qu’elle est imprimée sur du papier journal. J’ai commencé à la lire, page après page, chaque jour dans l’attente du suivant. Je me suis rapidement attachée à Bernard, ce moine de 25 ans, à qui a été confiée la tâche démesurée de transformer quelques hectares de bois et de prairies en monastère, à une époque où tout était beaucoup plus difficile et plus physique, mais où les hommes étaient capables des plus grandes folies par amour de Dieu. Et surtout, c’est pour retrouver le souvenir de Bernard de Clairvaux et marcher dans ses pas, dans ce lieu où il a foulé et où il a construit son abbaye, que je me suis retrouvé ce jour-là à l’Hostellerie des Dames de l’Abbaye, d’où partent les visites.

Clairvaux : Abbaye ou prison?

Mais là, je suis confrontée à une autre réalité. Non seulement les photos sont interdites pendant la visite, mais on m’a également demandé de laisser une pièce d’identité et d’éteindre mon téléphone portable. De plus, les visites n’étant autorisées que par groupes constitués, comptés et recomptés, sous la conduite d’un guide de l’Association Renaissance de l’Abbaye de Clairvaux, je devais attendre le départ de mon groupe. En attendant, on me dit à l’accueil que je peux visiter l’exposition « la prison de Clairvaux », qui se trouve à l’étage. Je le fais et l’entrée est gratuite. Je pensais avoir banni de mon esprit « la prison de Clairvaux ». Mais là, deux croix de bois, sculptées par des prisonniers, et une boule de pierre dans un anneau de fer au bout d’une chaîne, me le rappellent avec force ….. Alors Clairvaux ? Abbaye ou prison ?

1

La visite commence et on nous remet à chacun un badge avec un numéro de 1 à 40. Le guide nous compte un par un avant d’autoriser notre départ. Nous nous dirigeons directement vers la prison des enfants et sa minuscule chapelle, un ensemble magnifiquement restauré et utilisé comme lieu d’exposition. « En 1858, la population carcérale s’élevait à 2 700 détenus, dont 555 enfants, qui travaillaient, soit dans les ateliers, soit dans la colonie agricole », devais-je lire plus tard. Nous empruntons un chemin de ronde au bout duquel se dresse une ancienne tour de guet. Puis nous entrons dans un ensemble magnifiquement restauré, l’Aile des Convers datant du 12ème siècle. Ah ! Nous y sommes, nous sommes dans l’Abbaye. C’est splendide ! Les mots me manquent. Et nous repartons vers le grand cloître du 18ème siècle, qui n’a pas encore été restauré et qui porte tous les stigmates d’une prison. Quels dégâts ! Il était grand temps de créer un ministère de la culture ! Des pierres de l’abbatiale démolie ont été utilisées pour créer des planchers intermédiaires sous les arches du cloître, dont les ouvertures sont barrées par des grilles métalliques.

Nous visitons. Dortoirs sans eau, ni chauffage, ni électricité, on imagine l’odeur nauséabonde qui devait régner dans ces couloirs le long desquels coulaient les excréments de la nuit. A l’étage, les « poulaillers », grilles entourant des paillasses le long d’un couloir, utilisés jusqu’en 1970 : le « must… dur » de la visite. Quelque chose qui laisse probablement une impression permanente sur chaque visiteur, quelque chose qui a réveillé en moi l’oppression ressentie dans d’autres lieux, bien plus terribles que celui-ci il est vrai, Dachau et plus récemment le centre de torture de Phnom-Penh. Bien sûr, je n’ai pas visité la prison de Clairvaux pendant son fonctionnement, elle était là, juste derrière la fenêtre du réfectoire des moines, elle aussi magnifiquement restaurée, avec ses miradors modernes et ses gardes armés. Je ne pouvais guère me résoudre à lui accorder ne serait-ce qu’un regard furtif.

1
Cages à poules

Et Bernard dans tout ça ?

Quelle souffrance dans ces locaux. Les murs retiennent les sons du passé, qu’ils restituent à ceux qui veulent vraiment entendre leurs échos. J’ai écouté le bruit des pas de Bernard. J’ai pensé à tous ces moines qui ont renoncé à leur vie séculière pour suivre Bernard et vivre, de leur plein gré, la vie de reclus à l’abbaye de Clairvaux ou ailleurs, ils étaient si nombreux. Les temps ont changé, mais je pense que Bernard n’a jamais quitté son abbaye, le Bernard qui a écrit : « S’il arrive que vous ayez des hommes pour vous gouverner, contraints, punis, mais avec beaucoup d’amour et de charité, en vue de leur salut éternel, craignant que, si vous épargnez la chair, les âmes périssent. »

Veuillez comprendre, j’ai apprécié cette visite. Elle est surprenante et émouvante et je veux dire à tous ceux qui lisent ceci : il faut visiter Clairvaux maintenant, car 900 ans d’histoire y coexistent encore et le futur Clairvaux se dessine déjà.

.