J’ai découvert l’expression « strong convictions, weakly held » par Marc Andreessen, mais un peu de Google m’a montré qu’elle avait été inventée par Paul Saffo, alors directeur du Palo Alto Institute for the Future. Selon ce post, il conseillait à ses collaborateurs de penser de cette manière pour trois raisons :

  • C’est la seule façon de faire face à un avenir incertain et d’aller de l’avant
  • Parce que les opinions faibles n’inspirent pas la confiance ou l’action, ni même l’énergie nécessaire pour les tester
  • Parce que s’attacher trop aux opinions sape votre capacité à voir et à entendre les preuves qui vont à l’encontre de votre opinion (biais de confirmation)

Saffo a inventé cette logique il y a presque 15 ans, et comme le changement se produit de plus en plus rapidement, elle est devenue de plus en plus convaincante, à tel point que l’importance d’avoir des « convictions fortes, faiblement tenues » commence à devenir un peu un cliché parmi beaucoup des meilleurs investisseurs que je connais.

Cependant, cela s’applique à tout le monde des startups, pas seulement à l’investissement. En fait, il s’applique à toute personne qui est (ou devrait être) à la recherche de la vérité, ou plus exactement de l’approximation la plus proche que nous pouvons en obtenir. La plupart du temps, dans les startups, nous devons prendre des décisions sur la base d’informations minimales dans un environnement qui évolue rapidement et où il n’existe pas de réponse objectivement « correcte ». Le mieux que nous puissions faire est de nous forger une opinion sur la base des faits que nous avons sous les yeux, puis d’avoir le courage d’agir en fonction de cette opinion. Ensuite, et c’est souvent la partie la plus difficile, nous devons trouver le courage de changer notre opinion si de nouvelles informations suggèrent que nous avions tort.

Lorsqu’on investit en tant que VC, cela signifie qu’il faut rapidement décider quelles entreprises constituent des perspectives intéressantes, avoir le courage de détourner du temps d’autres perspectives pour s’y plonger et les étudier en profondeur, puis avoir le courage de les défendre auprès de nos partenaires, puis continuer à être courageux en continuant à chercher les raisons pour lesquelles une transaction pourrait ne pas avoir de sens, et enfin (si nécessaire) avoir le courage de dire « J’avais tort à ce sujet, je ne pense pas que nous devrions investir dans cette société après tout ». Cette dernière partie est délicate car elle nous oblige à laisser notre ego sur le bord de la route à un moment où nous nous sentons déjà mal à propos de notre travail gaspillé et de l’opportunité perdue. Ce qui rend la chose particulièrement difficile, c’est que souvent les raisons que nous trouvons pour ne pas investir sont celles qui, avec le recul, auraient dû être évidentes plus tôt.

J’ai choisi l’investissement comme exemple parce que c’est le monde que je connais le mieux, mais j’aurais tout aussi bien pu choisir les décisions relatives aux produits des startups, la stratégie marketing, le choix de la pile technologique ou les décisions d’embauche. Ce sont tous des domaines où les meilleures personnes ont la capacité de se forger rapidement des opinions fortes, puis de rester ouvertes d’esprit.

Notez comment ce processus consiste en une recherche disciplinée de la meilleure vérité que nous pouvons trouver. Cette recherche est sapée lorsque l’ego s’en mêle et que les opinions se figent, ce qui est le comportement humain le plus naturel. Notre biais de confirmation nous pousse à rechercher des données complémentaires et nous rend aveugles aux contre-arguments. Dans le meilleur des cas, cette voie conduit à de moins bonnes décisions et dans le pire des cas, elle aboutit à des conflits où les protagonistes lisent différentes sources d’information et se citent mutuellement des faits orthogonaux.

En fin de compte, c’est le travail des fondateurs, des PDG et des dirigeants à tous les niveaux de construire une culture où les gens ont la confiance en soi et le courage de se mettre en avant en formant rapidement des opinions fortes et où il est ok de changer d’avis plus tard. Il est crucial de montrer l’exemple (comme toujours), mais il est également important de favoriser un environnement où les opinions de chacun sont respectées et où on leur donne de l’espace. Nous nous rendons vulnérables lorsque nous exprimons une opinion, surtout une opinion forte, et si nous nous faisons rabrouer ou rejeter, il est plus difficile de trouver le courage de recommencer la prochaine fois.