Une étude de cas sur l’armée macédonienne

Alexandre le Grand et le développement des armes combinées

Alexandre le Grand menant ses forces contre une armée perse à la bataille d’Issus

Close up of Alexander himself

L’armée macédonienne a fait preuve d’un brio tactique qui a créé un précédent dans l’emploi de la force concentrée. Leurs tactiques représentent l’aboutissement de siècles de guerre grecque. Avant les réformes de Philippe, la guerre dans la région se résumait à deux cités-états opposant des phalanges de citoyens soldats lourdement armés dans une collision frontale qui laissait peu de place à l’agilité tactique et encore moins à la manœuvre stratégique. Les Macédoniens ont trouvé un succès sans précédent en combinant la force de la phalange grecque avec la vitesse et l’agilité de la cavalerie macédonienne. Ce faisant, il a fusionné deux cultures tout en posant simultanément les bases de la coordination de plusieurs armes de combat pour obtenir des résultats décisifs sur le champ de bataille contre une force supérieure.

Plusieurs des techniques et améliorations employées par Alexandre provenaient de son père.

La guerre à armes combinées est l’utilisation coordonnée de plusieurs armes de combat pour vaincre l’ennemi. Comme le définit l’édition 2017 de la publication de référence de la doctrine de l’armée (ADRP) 3-0 Opérations, « Les armes combinées sont l’application synchronisée et simultanée de tous les éléments de la puissance de combat qui, ensemble, permettent d’obtenir un effet plus important que si chaque élément était utilisé séparément ou séquentiellement. »

Bien que la plupart des pays de l’Antiquité aient employé plusieurs éléments de la puissance de combat à un moment ou à un autre, aucun d’entre eux n’a synchronisé leur application comme celui d’Alexandre. L’armée d’Alexandre a combattu sans interruption tout au long d’une marche de vingt-deux mille miles « sans perdre une seule bataille… tout en étant en infériorité numérique dans presque tous les engagements. »

L’armée d’Alexandre était composée de multiples types d’unités militaires. Dans son étude sur l’utilisation par Alexandre de la guerre à armes combinées, le major Robert Pederson affirme qu’Alexandre employait dix armes de combat différentes. Toutes les armes de combat d’Alexandre ont contribué à ses nombreuses victoires, mais dans un souci de brièveté, cet article se concentrera sur l’utilisation de l’infanterie et de la cavalerie en combinaison l’une avec l’autre en explorant ses actions au cours de deux grands engagements avec une force perse supérieure. Pour comprendre l’origine de ce type de guerre, nous étudierons également le développement du concept ainsi que celui de l’armée d’Alexandre. Enfin, il explorera l’héritage qu’il a laissé dans les grandes armées qui ont émergé dans les quelque cent cinquante années qui ont suivi la mort d’Alexandre.

Les fantassins de l’armée macédonienne se composaient de cinq types différents : l’infanterie lourde, les hypaspistes, l’infanterie légère, l’infanterie d’escarmouche et l’infanterie montée. L’infanterie lourde était lourdement blindée et combattait en phalange avec une pique de 18 pieds de long appelée sarissa. L’hypaspiste était moins blindée et plus maniable ; elle combattait en formation entre la cavalerie et la phalange lourde, et fonctionnait comme une articulation entre elles. L’infanterie légère était encore moins blindée, ne portant généralement qu’un casque et un bouclier, et se battant avec de petites piques et des épées courtes, elle était souvent utilisée pour la sécurité des flancs et de l’arrière. Les tirailleurs portaient diverses armes, notamment des javelots, et combattaient indépendamment devant ou sur les flancs de la phalange. Le dernier type d’infanterie employé par Alexandre était l’infanterie montée, introduite après la défaite des Perses. Elle combattait à pied comme l’infanterie lourde, mais utilisait des chevaux pour sa rapidité de déplacement, et descendait de cheval avant la bataille. L’intégration harmonieuse de ces cinq types d’infanterie avec ses autres forces, en particulier la cavalerie, a été déterminante dans la victoire d’Alexandre à de multiples occasions.

Alexandre a employé des forces de cavalerie lourde et légère. Sa cavalerie lourde portait une armure et combattait avec une lance identique à celle de l’infanterie lourde et était utilisée pour le combat direct et l’attaque de style choc, généralement depuis le flanc ou l’aile. La cavalerie légère, quant à elle, ne portait pas d’armure et utilisait soit un javelot léger, soit une lance, soit parfois un arc. La cavalerie légère était la mieux adaptée à la reconnaissance, au dépistage et à la protection des flancs. Le ratio macédonien cavalerie/infanterie était d’un cavalier pour six fantassins à son apogée. Ces multiples types de cavaliers fournissaient à Alexandre une quantité inégalée de flexibilité et d’agilité qui lui permettait de manœuvrer pour égaler son ennemi sur le champ de bataille.

« Les armes combinées sont l’application synchronisée et simultanée de tous les éléments de la puissance de combat qui, ensemble, obtiennent un effet plus important que si chaque élément était utilisé séparément ou séquentiellement. » – US Army ADRP 3-0, 2017.

La principale méthode avec laquelle les Macédoniens ont appliqué la guerre à armes combinées est simple. La phalange était placée au centre de la ligne, flanquée d’hypaspistes qui relient la phalange aux contingents de cavalerie sur les ailes. Alexandre lui-même était typiquement sur l’aile droite avec sa cavalerie d’accompagnement, menant de front. Lors des combats, la phalange fixait la force principale de l’ennemi tandis que la cavalerie combattait sur les ailes pour envelopper l’ennemi. Les hypaspistes reliaient ces deux forces et empêchaient la formation de brèches, comme celle qui condamna Darius à Gaugamela. Cette disposition des forces est à la base des décisions tactiques prises par Alexandre à Issus et à Gaugamèle. Dans les deux cas, la phalange a coincé le centre perse et a permis à Alexandre de mener la manœuvre finale d’enveloppement depuis l’aile droite.

Alexandre n’a pas été le premier à combiner ces éléments de la puissance de combat, et en tant que tel, toute étude de l’utilisation par Alexandre de tactiques d’armes combinées ne peut commencer sans une étude du chef thébain, Epaminondas et du père d’Alexandre, Philippe. Avant Epaminondas, la guerre en Grèce consistait principalement en des batailles de phalanges hoplites contre phalanges hoplites. Ces batailles étaient courtes, et les pertes ne dépassaient jamais dix pour cent, car le combat était si formel que la cavalerie n’était pas utilisée dans la poursuite d’un ennemi en fuite. La phalange hoplite s’est avérée très efficace pour se défendre contre une force du Proche-Orient lorsque les Grecs ont pu repousser les invasions perses de 490 et 480-479 av. Cette forme de guerre servit de base à ce que Philippe et Alexandre utilisèrent pour conquérir l’Asie.

C’est d’Epaminondas que Philippe tira nombre des leçons qu’il appliqua à l’armée macédonienne sur le champ de bataille. Alors qu’il était otage à Thèbes, Philippe a pu observer l’importance d’une synchronisation étroite entre l’infanterie et la cavalerie, et que la planification méticuleuse et la vitesse pouvaient assurer la victoire malgré les désavantages de taille et de force. Plus important encore, Philippe a appris que la meilleure méthode pour vaincre l’ennemi de manière décisive était d’attaquer sa force, et non sa faiblesse. Epaminondas a utilisé ces principes pour détruire l’hégémonie spartiate en Grèce, libérer les Helotes de Messénie et éradiquer le mythe de la suprématie spartiate lors des batailles de Leuctra et de Mantinée, respectivement en 371 et 362 avant Jésus-Christ. Il les a vaincus dans les deux batailles en massant l’infanterie sur sa gauche et en menant une charge massive sur la droite spartiate. Les Spartiates ne s’en sont pas rendu compte et ont été mis en déroute par les Thébains deux fois en neuf ans. Ces batailles servent à démontrer le premier ajustement significatif des tactiques grecques sur le champ de bataille en 300 ans.

Pour utiliser les leçons, Philippe aurait besoin de transformer un système militaire macédonien qui était largement inefficace. La Macédoine au moment de l’ascension de Philippe en 359 av. J.-C. était un pays de pauvres fermiers qui ne pouvaient pas se permettre l’équipement nécessaire pour devenir des hoplites au sens traditionnel grec. L’armée macédonienne était principalement composée d’une riche cavalerie aristocratique et d’une infanterie faible et légèrement armée. Conscient de ces lacunes, Philippe a utilisé l’argent de l’État pour équiper et payer ses forces, tout en accordant le titre de pezetairoi (compagnons à pied) à ces fantassins. Grâce à ces réformes, Philippe a pu élever l’importance et le statut social de l’infanterie au même niveau que la cavalerie. En les traitant comme des compagnons et en les payant, Philippe a pu créer une force de combat loyale. En outre, Philippe a apporté de nombreuses améliorations au modèle de l’infanterie grecque. Premièrement, il a équipé ses soldats d’armures et de boucliers plus légers. Deuxièmement, il les forma en une phalange plus grande et moins compacte. Troisièmement, et le plus important, le développement de la sarissa. La sarissa était une pique de 16 à 18 pieds de long qui doublait la longueur de la lance grecque standard. Au combat, la phalange macédonienne opérait en formation étalée, les sarisses des quatre ou cinq premiers rangs pointant vers l’avant. La phalange macédonienne de Philippe était donc plus forte et plus agile que les précédentes itérations grecques de la phalange, ce qui s’est avéré déterminant pour la conquête de l’Asie par Alexandre. Philippe a conçu son armée pour utiliser la phalange comme base de manœuvre pour la cavalerie afin d’attaquer par le flanc.

La bataille de Chaeronea en 338 avant JC offre le premier aperçu du brio tactique de Philippe avec son armée contre un adversaire grec. Les Macédoniens affrontaient une armée thébaine et athénienne combinée qui comprenait les successeurs de son mentor Epaminondas. La patience tactique et l’agilité de Philippe ont été brillantes dans cette bataille. Son fils, Alexandre, âgé de 18 ans, dirigea la cavalerie macédonienne de l’aile gauche lors de la manœuvre décisive. En utilisant une fausse retraite planifiée à l’avance, Philippe a pu attirer les Athéniens en avant et créer une brèche dans la ligne grecque. Alors que les Athéniens tentaient de poursuivre les forces de Philippe, la cavalerie d’Alexandre passait par cette brèche et attaquait les Thébains par l’arrière. Philippe avait ainsi fixé son ennemi avec le poids de la nouvelle sarissa-phalanx massive, et Alexandre exploita l’ouverture en lançant une manœuvre de flanc critique depuis la gauche macédonienne pour gagner la journée. L’armée grecque combinée ayant été détruite et la fameuse bande sacrée thébaine ayant été massacrée, Philippe contrôlait désormais la totalité de la Grèce. Malgré l’assassinat de Philippe, Alexandre continua le développement de la guerre à armes combinées et exécuta les plans de son père d’envahir l’Asie.

Lors de la bataille d’Issus en 333 av. J.-C., Alexandre fit sa deuxième rencontre avec l’armée perse ; cette fois-ci, il était en infériorité numérique de trois contre un. La bataille a eu lieu sur un terrain restreint et canalisé qui limitait la capacité des deux commandants à manœuvrer leurs forces. Darius tenta d’utiliser sa cavalerie pour déborder les Macédoniens de l’aile droite perse. En réponse, Alexandre envoya sa cavalerie thessalienne sur la gauche macédonienne pour s’opposer à la cavalerie perse, tandis qu’il conduisait sa cavalerie complémentaire à travers la rivière Pinarus sur l’aile droite macédonienne pour déborder l’armée perse. Darius ne s’attendait pas à une telle manœuvre, car, en raison de ses rives escarpées, la rivière était considérée comme trop dangereuse pour que les chevaux puissent la traverser comme Alexandre l’a fait. Alors qu’il avançait vers la droite perse, Alexandre reçut la nouvelle que son aile gauche était défaillante. Faisant preuve de son agilité tactique caractéristique, il a évité une catastrophe en ordonnant aux hypaspistes et à la phalange qui l’avaient rejoint de se déplacer légèrement sur la gauche pour renforcer son côté gauche. La prise de décision d’Alexandre et les assauts coordonnés de l’infanterie et de la cavalerie ont remporté la victoire, et les Macédoniens ont forcé Darius à faire demi-tour et à fuir, laissant son armée en ruines.

Dans ce qui est probablement la meilleure démonstration de l’éclat d’Alexandre en tant que commandant militaire, il a affronté Darius et les Perses à nouveau le 1er octobre 331 avant JC, à Gaugamela. Une fois de plus, Alexandre a vaincu l’armée perse bien qu’il ait été surpassé en nombre, cette fois par cinq contre un. Sans l’avantage d’un terrain restrictif, il forma une ligne de réserve qui devait se déplacer en un seul bloc ou détacher des troupes sur l’un ou l’autre flanc, selon les manœuvres des Perses. Au début de la bataille, Darius tente de déborder l’aile droite grecque, ce qui entraîne la formation d’une brèche entre sa phalange de mercenaires et sa cavalerie. Alexandre, qui avait déjà envoyé de la cavalerie thessalienne pour soutenir la gauche macédonienne, a poussé sa cavalerie d’accompagnement dans cette brèche, constituant une menace immédiate pour Darius, qui a fui.

Après la mort d’Alexandre en 323 av. J.-C., ses successeurs se livrèrent aux guerres des Diadoques pour déterminer le contrôle du vaste empire qu’il avait créé. Au début, ils continuèrent à employer les mêmes tactiques que celles d’Alexandre, mais la guerre se résuma peu à peu au combat à un seul bras. Les commandants hellénistiques se sont montrés inflexibles dans leur adaptation aux situations changeantes et se sont donc éloignés de la guerre à armes combinées. Cela est dû, du moins en partie, aux dépenses énormes que nécessite l’entretien de la cavalerie. En utilisant moins de cavalerie, les armées devenaient moins maniables, ce qui semble avoir conduit à diviser davantage l’infanterie pour améliorer la maniabilité et la modularité. Des unités d’infanterie plus petites, capables de se déplacer indépendamment, aident à expliquer le développement du maniple romain comme une infanterie de manœuvre supérieure à la phalange grecque. Les Macédoniens étaient en avance sur leur temps, et le brio tactique et la flexibilité stratégique d’Alexandre étaient insoutenables sans le bon esprit militaire couplé à la bonne composition des forces.

L’art de la guerre d’Alexandre a été brièvement employé par le roi Pyrrhus, un descendant et élève d’Alexandre, qui a connu le succès avant de succomber finalement à l’avantage en effectifs dont jouissaient les Romains. Il a répondu aux colons grecs du sud de l’Italie qui demandaient de l’aide pour combattre les Romains qui tentaient de prendre le contrôle de la péninsule italienne. Pyrrhus a vaincu les Romains dans toutes les batailles en utilisant les mêmes tactiques générales d’armes combinées qu’Alexandre, mais ses effectifs se sont rapidement épuisés. Les Romains finiront par soumettre les Macédoniens et, selon Pederson, « c’est le manque d’effectifs, plutôt que l’infériorité de la technique militaire, qui a finalement scellé le sort de la Macédoine. »

Les Romains ont bien utilisé de multiples armes de combat mais n’ont pas été capables de coordonner efficacement leur utilisation comme celle des Macédoniens. En conséquence, l’élan de la guerre est revenu au fantassin. Avec le développement de la légion manipulaire, le fantassin individuel ne restait plus lié aux formations denses de phalanges. L’armée romaine est devenue la formation la plus efficace du monde antique grâce à ses unités d’infanterie plus petites, plus maniables et modulaires. En outre, la légion manipulaire romaine comprenait quelque 300 cavaliers, mais la cavalerie combattait rarement en conjonction avec l’infanterie. Les Romains ont été victorieux contre une phalange macédonienne lors de deux batailles importantes en Macédoine, à Cynoscephalae en 197 avant J.-C. et à Pydna en 168 avant J.-C.. Lorsque les Romains ont pénétré la phalange macédonienne, les Macédoniens se sont rapidement effondrés et ont été solidement battus. Le succès romain était principalement dû à la flexibilité tactique que permettait la formation ouverte, mais aussi au manque d’aptitude des commandants macédoniens, qui ne pouvaient pas égaler les dons d’Alexandre en matière d’innovation et de flexibilité sur le champ de bataille. Les Romains étaient une force militaire très efficace, mais ils n’ont pas atteint le même équilibre dans les actions combinées qu’Alexandre a pu montrer avec son armée macédonienne. Le succès de l’armée romaine est attribuable au fantassin légionnaire, et non à la cavalerie, ni à sa combinaison avec la cavalerie.

Route de la campagne, selon l’Encyclopedia Britannica

Pour citer Peter Green,

« Le véritable génie d’Alexandre était un commandant de campagne : peut-être, pris dans son ensemble, le général le plus incomparable que le monde ait jamais vu. Son don pour la rapidité, l’improvisation, la variété des stratégies ; son sang-froid dans une crise ; sa maîtrise du terrain ; sa capacité psychologique à pénétrer les intentions de l’ennemi – toutes ces qualités le placent à la tête même des Grands Capitaines de l’histoire. » – Peter Green dans Alexandre de Macédoine, 356-323 av. J.-C. : une biographie historique

L’armée d’Alexandre a connu un succès écrasant et était en avance sur son temps en matière d’organisation tactique et surtout d’intégration des armes combinées. Les commandants modernes peuvent apprendre beaucoup de choses dans l’étude d’Alexandre et de son génie tactique. Si les Grecs avant Alexandre faisaient preuve d’un corporatisme indiscipliné et les Romains d’un individualisme discipliné, l’armée d’Alexandre s’apparentait davantage à un corporatisme discipliné. La façon de faire la guerre des Macédoniens a contribué à jeter les bases de la civilisation occidentale, car c’est grâce à l’art de la guerre d’Alexandre que son empire a fondé plus de 70 villes, qui ont fait office de centres commerciaux dans toute l’Asie et ont pu diffuser les idées et la culture hellénistiques jusqu’en Chine. Après que Rome a vaincu les Diadoques et contrôlé le monde hellénistique, les littératures grecque et romaine ont fusionné.