Candida spp. fait partie de la flore normale de la peau, de l’oropharynx, des muqueuses et des voies respiratoires supérieures. Candida spp. peut atteindre les poumons soit par dissémination hématogène, soit par aspiration du contenu oropharyngé ou gastrique colonisé (Muray et al.1977). L’isolement de Candida spp. à partir des sécrétions des voies respiratoires est fréquent chez les patients non immunodéprimés et ventilés mécaniquement. Plusieurs études ont signalé la présence de Candida spp. dans les expectorations de 20 à 55 % des patients recevant des antibiotiques (Azoulay et al. 2006 ; Delisle et al. 2008). Candida spp. est la cause la plus fréquente d’infections fongiques invasives, avec une incidence estimée à 72,8 cas par million d’habitants par an (Guinée 2014). Les cinq principales espèces de Candida spp (C.albicans, C. parapsilosis, C. glabrata, C. tropicalis et C. krusei) sont responsables de plus de 90 % des infections fongiques invasives, tant chez les patients des unités de soins intensifs (USI) que chez les autres (Maubon et al. 2014). La candidapneumonie est une infection pulmonaire rare avec une morbidité et une mortalité élevées, généralement observée dans le cadre d’une infection à Candida disséminée et associée à des circonstances cliniques prédisposantes (c’est-à-dire une utilisation prolongée d’antibiotiques, une malignité hématologique ou des états immunosuppresseurs sévères). La majorité des cas de candidapneumonie sont secondaires à une dissémination hématologique de Candidaspp. (Masur et Rosen 1977). Il n’existe pas de présentation clinique ou radiologique spécifique de la pneumonie à Candida. Cet aspect de la maladie rend le diagnostic difficile à réaliser. Le diagnostic définitif de la pneumonie à Candida repose maintenant sur l’identification histopathologique d’une invasion de parenchyme à levure avec une inflammation associée.

Signification de CandidaSpp. Isolation chez les patients non immunodéprimés

L’infection pulmonaire invasive par Candidaspp. est un événement rare chez les sujets non immunodéprimés. Plusieurs études ont montré que la récupération de Candida spp. à partir de cultures d’expectorations et d’autres sécrétions des voies respiratoires ou de tissus pulmonaires chez des patients non immunodépriméspourrait représenter une colonisation de l’arbre trachéobronchique plutôt qu’une infection.

El-Elbiary et al. (1997)ont réalisé une étude autopsique sur 25 patients immunocompétents, ventilés mécaniquement, décédés dans une unité médicale de soins intensifs, afin d’évaluer la signification réelle de la présence de Candida spp. dans l’arbre trachéobronchique ou les poumons. Des échantillons respiratoires et des échantillons de tissu pulmonaire prélevés immédiatement après la mort ont été examinés microbiologiquement et histologiquement. L’incidence de l’isolement de Candida spp. à partir de biopsies pulmonaires était de 40 %, tandis que l’incidence de la pneumonie à Candida n’était que de 8 %. La présence de Candida spp. dans les biopsies pulmonaires était toujours associée à l’isolement du même micro-organisme dans un autre échantillon respiratoire. En outre, il y avait une présence uniforme de Candidaspp. dans les différentes régions pulmonaires, mais l’isolement fongique, indépendamment des cultures quantitatives, n’était pas reconnu comme un bon marqueur de la pneumonie à Candida (el-Ebiary et al. 1997).

En 2009, Meersseman et al.ont réalisé une étude similaire. Les données provenant des autopsies de patients décédés dans une unité de soins intensifs médicaux et présentant des signes de pneumonie ont été analysées afin de définir la valeur de l’isolement de Candida spp. dans les échantillons de voies respiratoires de ces patients. Des preuves histopathologiques de pneumonie ont été trouvées chez 58% des patients. Parmi ceux-ci, 57% avaient des échantillons trachéobronchiques positifs pour Candida spp. effectués au cours des deux semaines précédentes. Aucun cas de pneumonie à Candida n’a été identifié parmi ces cas ou chez les patients sans isolement de Candida.Ces résultats ont confirmé que la présence de Candida spp. dans les échantillons respiratoires n’indique pas une pneumonie et qu’il s’agit d’un événement extrêmement rare chez les patients des soins intensifs (Meersseman et al. 2009).

La colonisation par Candida Spp.comme facteur de risque de pneumonie sous ventilation assistée à P. Aeruginosa OU de bactéries multirésistantes

Bien que le diagnostic de pneumonie isolée à Candida soit rare, la présence de Candida spp.sur des échantillons pathologiques ne doit pas être cliniquement ignorée. P. aeruginosa et Candida spp. sont parmi les organismes les plus répandus dans les infections acquises en soins intensifs (Vincent et al. 1995), et ils peuvent coexister dans le biofilm des tubes endotrachéaux ou des dispositifs médicaux des patients (Adair et al. 1999). Ces deux pathogènes présentent des similitudes physiques, chimiques, environnementales et phylogénétiques (Ader et al. 2008 ; Hogan et Kolter 2002). La question de leur interaction dans les voies respiratoires a été étudiée, avec des résultats contrastés, dans des études animales.

Ader et al. (2011) ont montré que les lésions pulmonaires de P. aeruginosa étaient réduites en présence de C. albicans dans un modèle de souris, ainsi que la quantité de P. aeruginosa vivant récupéré dans les poumons. Un traitement antifongique avec la caspofungine a supprimé cet effet dans ces cas. Cependant, le taux de mortalité et la dissémination bactérienne n’ont pas varié entre les animaux colonisés et non colonisés (Ader et al. 2011).

A l’inverse, en 2009, Roux et al.ont réalisé une étude animale contrôlée et randomisée dans le but de déterminer l’effet de la présence de C. albicans sur la pneumonie à P. aeruginosa. P. aeruginosa a été instillé dans l’arbre trachéobronchique d’animaux avec ou sans colonisation trachéobronchique préalable par C. albicans. Les animaux avec une colonisation trachéobronchique par C. albicans ont développé plus fréquemment une pneumonie à P. aeruginosa que les animaux sans colonisation. En outre, des niveaux plus élevés de cytokines pro-inflammatoires (TNFα, IFγ, IL-6) ont été mesurés dans les poumons des animaux instillés avec P. aeruginosa avec une colonisation antérieure de C. albicans, par rapport à ceux sans colonisation de C. albicans (Roux et al. 2009).

En outre, un rapport préliminaire a montré que la colonisation de C. albicans favorise l’apparition de pneumonies liées à S. aureus et E. coli (Roux et al 2009). De même, une étude récente suggère que la colonisation fongique a également facilité le développement de la pneumonie à Acinetobacter baumanii dans un modèle de rat, avec un rôle protecteur de la thérapie antifongique sur cet événement (Tan et al. 2016). Ainsi, le mécanisme par lequel la colonisation par Candida spp. favorise la pneumonie bactérienne pourrait être indépendant des espèces bactériennes.

La pneumonie acquise en USI (ICUAP) est la principale infection chez les patients gravement malades, responsable d’une ventilation mécanique et d’une durée de séjour prolongées, de mauvais résultats et de coûts excessifs.Il existe des preuves d’interactions entre Candida spp. et P.aeruginosa, la colonisation fongique pouvant augmenter le risque d’infection par P.aeruginosa. Certains rapports cliniques ont montré une association possible entre la présence de Candida spp. dans les sécrétions respiratoires et un risque accru de pneumonie sous ventilation assistée (PVA) à P. aeruginosa, une ventilation mécanique plus longue, un séjour prolongé et de plus mauvais résultats.

Dans une cohorte de patients immunocompétents sous ventilation mécanique, Azoulay et al. (2006) ont trouvé l’isolationde Candida spp. dans l’arbre trachéobronchique comme un facteur de risque indépendant de pneumonie, due à P. aeruginosa. La colonisation par Candida spp. n’était pas associée à une mortalité plus élevée, mais les patients colonisés présentaient une durée de ventilation significativement plus longue et des séjours en soins intensifs et à l’hôpital plus longs par rapport aux patients sans isolement de Candida spp. dans les voies respiratoires.

Candida spp. a été identifié comme un facteur de risque pour les bactéries multirésistantes. Hamet et al. (2012) ont mené une étude observationnelle prospective afin d’étudier la signification de la colonisation des voies respiratoires par Candida spp. chez les patients présentant une PVA présumée et le lien potentiel avec l’isolement de bactéries multirésistantes (MDR). Cinquante-six pour cent des patients présentant une PVA présumée avaient une colonisation des voies respiratoires par Candida spp. La colonisation des voies respiratoires par Candida spp. était un facteur de risque indépendant de l’isolement de bactéries multirésistantes, sans différence significative entre les agents pathogènes étiologiques. Les patients colonisés étaient similaires aux patients non colonisés en ce qui concerne la gravité de la PVA ; cependant, dans cette étude, le taux de mortalité était plus élevé chez les patients ayant une colonisation fongique des voies respiratoires que chez ceux qui n’en avaient pas (Hamet et al. 2012).

Dans une analyse rétrospective de l’étude canadienne sur la PVA, Delisle et al. (2008) ont trouvé une isolation de Candida spp. dans des échantillons respiratoires chez 17,8% de tous les patients. Les patients colonisés présentaient une durée d’hospitalisation plus longue que les patients non colonisés et une augmentation significative de la mortalité hospitalière. Dans cette population, la présence de Candida spp. était indépendamment associée à la mortalité hospitalière. L’administration d’antibiotiques, les comorbidités et une maladie plus sévère sont des facteurs probables associés à l’isolement de Candida spp. (Delisle et al. 2008 ; Terraneo etal. 2016).

En 2015, nous avons réalisé une étude non interventionnelle prospective dans une unité de soins intensifs médicale et chirurgicale d’un hôpital d’enseignement. L’objectif de cette étude était de comparer les caractéristiques, la microbiologie, la réponse inflammatoire et les résultats des patients diagnostiqués avec ICUAP (ventilés mécaniquement ou non), avec et sans présence de Candidaspp. dans les échantillons des voies respiratoires inférieures, et d’évaluer les caractéristiques et les résultats associés à la thérapie antifongique. Nous avons mené cette étude en raison de la divergence entre la pertinence clinique incertaine de l’isolement de Candida spp. dans les sécrétions des voies respiratoires et son association avec des résultats cliniques défavorables chez les patients atteints de PVA.

Les patients colonisés par Candida spp. ont présenté des scores de gravité plus élevés que les patients sans colonisation fongique des voies respiratoires, mais un schéma inflammatoire similaire. Les résultats cliniques étaient similaires entre les patients colonisés et non colonisés, y compris la mortalité à 28 jours et 90 jours, à l’exception d’un risque accru d’intubation chez les patients colonisés par Candida sp. (Terraneo et al. 2016).

Voir aussi : Infections chez le patient immunodéprimé et immunocompromis

Traitement antifongique

Bien que Candida spp. soit fréquemment isolé à partir d’échantillons des voies respiratoires, le traitement antifongique n’est pasroutinièrement recommandé, car la pneumonie causée par cette espèce fongique estexceptionnelle chez les patients non neutropéniques (Garnacho-Montero et al. 2013).L’utilisation inappropriée du traitement antifongique pourrait être associée à des taux plus élevés de résistance fongique et de mortalité chez les patients des unités de soins intensifs ; par conséquent, l’isolement de Candidaspp. à partir des seules sécrétions respiratoires ne doit pas être traité rapidement (Cuenca-Estrella 2012 ; Rello et al. 1998). Néanmoins, un traitement antifongique est fréquemment prescrit aux patients immunocompétents sous ventilation mécanique qui présentent un isolement de Candida spp. à partir d’échantillons des voies respiratoires (Azoulay et al. 2004 ; van der Geest et al. 2014). L’effet du traitement antifongique chez les patients présentant une colonisation des voies respiratoires par Candida spp. a été largement étudiéavec des résultats discordants.

Une étude rétrospective cas-témoins menée par Nseir et al. (2007) a montré que la prescription et la durée du traitement antifongique étaient associées à un risque réduit de PVA à P.aeruginosa ou d’isolement trachéobronchique chez les patients sous ventilation mécanique colonisés par Candida spp.

Wood et al. (2006) ont réalisé une étude rétrospective chez des patients en soins intensifs pour traumatismes. Candida spp. a été isolé à partir de 8% des lavages broncho-alvéolaires (LBA) diagnostiques. La plupart des isolations ont été considérées comme une colonisation et aucun traitement spécifique n’a été prescrit. Aucun patient n’a développé de candidémie ou d’infections fongiques graves après l’isolement de Candida spp. malgré l’absence de traitement antifongique. En outre, Candidas spp. n’a pas été isolé dans les LBA de suivi ultérieurs. Aucun taux de mortalité significativement plus élevé n’a été observé chez les patients présentant un taux élevé de Candida spp. dans le LBA, malgré l’absence de traitement (Wood et al. 2006).

En 2014, van der Geest et al.(2014) ont réalisé une analyse rétrospective de patients non neutropéniques sous ventilation mécanique présentant des cultures positives de Candida spp. dans le tractus respiratoire, traités ou non par inhalothérapie de désoxychlorate d’amphotéricine-B dans le cadre d’une décontamination sélective du tube digestif. La durée de la ventilation mécanique a été augmentée par le traitement indépendamment de la présence de Candida spp., ce qui suggère une toxicité directe du médicament dans le poumon. Aucune différence dans le développement de la PVA ou la mortalité globale n’a été observée dans cette étude (van der Geest et al. 2014).

En 2014, Albert et al. ont réalisé un essai clinique pilote randomisé en double aveugle, contrôlé par placebo, multicentrique, afin d’évaluer les profils inflammatoires et les résultats cliniques des patients présentant une suspicion de PVA et la présence de Candida spp. et traités ou non par un traitement antifongique. L’isolement de Candida spp. était associé à une inflammation et une immunosuppression persistantes, mais les marqueurs de l’inflammation et tous les résultats cliniques présentaient des résultats similaires entre les patients traités et non traités par antifongique, à la fois au début de l’étude et au fil du temps (Albert et al. 2014).

Dans notre étude, nous avons observé une prescription plus fréquente d’un traitement antifongique chez les patients présentant des preuves de la présence de Candidaspp. dans les échantillons des voies respiratoires ou chez les patients présentant de multiples comorbidités ou une maladie plus grave. Cependant, dans notre groupe de patients, l’antifongothérapie n’était pas associée à des résultats différents chez les patients présentant des Candidaspp. dans les échantillons respiratoires (Terraneo et al. 2016).

Conclusion

Malgré l’isolement fréquent deCandida spp. à partir d’échantillons respiratoires de patients en soins intensifs, le développement d’une véritable pneumonie à candida est très peu probable lorsque des sujets immunocompétents sont considérés.Cependant, la présence de Candida spp. dans des échantillons pathologiques ne devrait pas être cliniquement ignorée car elle pourrait probablement être associée à une maladie plus grave. Ce qui n’est pas résolu, c’est la question de la causalité réelle entre Candida spp. et la détérioration de l’état de santé, puisque Candida spp. pourrait n’être qu’un marqueur de gravité. À l’heure actuelle, les données disponibles ne sont pas suffisantes pour justifier un traitement antifongique systématique chez ces patients. En outre, d’autres études sont nécessaires pour comprendre l’impact réel de Candida spp. sur le développement des infections respiratoires et les résultats des patients et, par conséquent, le rôle protecteur possible de l’administration d’agents antifongiques.