Printemps 2006 – Vol. 35 n° 1 – pp. 33-43

Dan Epp-Tiessen

Même le plus engagé des serviteurs de Dieu peut parfois connaître le découragement, le pessimisme et le désir de se retirer de son appel. 1 Rois 19 raconte comment le puissant Élie a succombé à la faiblesse humaine, et comment la grâce remarquable de Dieu a renouvelé ce prophète autrefois sans peur et l’a rétabli dans son ministère.

L’observation de la structure chiastique de 1 Rois 19 met en évidence les différentes étapes que Dieu utilise pour renouveler un prophète fatigué, découragé et suicidaire.

LA STRUCTURE DE 1 Rois 19

Certains commentateurs affirment que 1 Rois 19 est un texte composite contenant des interpolations et des répétitions maladroites. 1 Le récit peut bien être composite par nature, mais dans sa forme finale, c’est un chiasme soigneusement élaboré. Reconnaître la structure du texte met en évidence le but de l’ensemble du récit et révèle la signification de certains de ses éléments apparemment maladroits.

A. 19:1-4 Elie fuit le monde et le ministère prophétique
B. 19:5-9a Le renouveau d’Elie commence

  • instructions pour Elie : « lève-toi et mange » 2
  • Yahvé répond aux besoins d’Elie avec de la nourriture et {34} de l’eau, et une suggestion d’aller à Horeb
  • sur la base de la nourriture, Elie se rend à Horeb
  • C. 19:9b-10 « Que fais-tu ici, Elie ? »

  • « J’ai été extrêmement zélé . . . »
  • D. 19:11a Il est dit à Elie « sors et tiens-toi debout »
    E. 19:11b-12 Yahvé passe
    D’. 19:13a Elie sort et se tient
    C’. 19:13b-14 « Que fais-tu ici, Elie ? »

  • « J’ai été extrêmement zélé . . . »
  • B’. 19:15-18 Le renouvellement d’Elie est achevé

  • instructions pour Elie : « Va et reviens »
  • Yahvé répond aux besoins d’Elie par une nouvelle commission et un réconfort
  • Yahvé dit à Elie de quitter Horeb
  • A’. 19:19-21 Elie revient dans le monde et au ministère prophétique

    Les caractéristiques chiastiques sont les plus évidentes dans les sections C (19:9b-10) et C’ (19:13b-14) où Dieu pose la même question : « Que fais-tu ici, Elie ? ». En réponse, Élie donne la même longue autojustification concernant son propre zèle par rapport à l’apostasie des autres Israélites. 3 Dans la section D (19:11a), Dieu ordonne à Élie de sortir et de se tenir sur la montagne, et dans la section D’ (19:13a), les mêmes mots hébreux sont utilisés pour rapporter qu’Élie sort effectivement et se tient debout. Les sections B (19,5-9a) et B’ (19,15-18) se concentrent toutes deux sur la manière dont le renouveau d’Élie s’accomplit, tandis que les sections A (19,1-4) et A’ (19,19-21) opposent un prophète craintif et épuisé qui fuit son ministère à un prophète renouvelé qui retourne à sa vocation. Dans les passages chiasmiques, le matériel théologiquement le plus important se tient souvent au centre, et il n’est donc pas surprenant que Dieu arrive sur la scène au centre de cette histoire (19:11b-12).

    Dans un chiasme, les parallèles et les contrastes entre les panneaux correspondants invitent à la comparaison et, dans le processus, un sens composite émerge parfois qui pourrait ne pas être évident si la structure n’est pas reconnue. Par exemple, dans la première section (A), Élie est tellement effrayé et découragé qu’il fuit le monde et son ministère prophétique et souhaite mourir. Dans la dernière section (A’), Élie a retrouvé son énergie et est retourné dans le monde et dans son ministère. La comparaison de ces deux sections révèle l’énorme changement qui s’est opéré sur Élie, et indique que le point central de l’histoire est le renouveau d’un prophète craintif et épuisé. Comment Dieu apporte ce renouveau est la préoccupation des sections intermédiaires.

    A : Elie fuit son ministère prophétique (19:1-4)

    Le récit s’ouvre sur une référence au chapitre précédent où Elie a vaincu et tué les prophètes de Baal dans le grand concours sur le mont Carmel. Lorsque Jézabel, la protectrice royale des prophètes de Baal, entend parler des actions d’Elie, elle dépêche un messager pour l’informer qu’elle aura sa vie (19:2). Élie est persécuté pour sa fidélité et pour avoir exigé une obéissance totale à un seul Dieu, car une telle loyauté menace les pouvoirs en place qui ont leurs propres idées sur qui ou quoi les gens devraient adorer.

    La réponse d’Élie à cette opposition est surprenante. Auparavant, il n’a pas hésité à tenir tête au roi Achab (17:1 ; 18:17-18) et aux prophètes de Baal, mais maintenant il a peur et s’enfuit à Beer-sheba, la colonie la plus méridionale de Juda, bien hors de portée de Jézabel, reine du nord d’Israël. À Beer-Sheba, il laisse son serviteur derrière lui et fait un jour de plus de voyage dans le désert. Il s’agit d’une tentative de suicide, car personne ne peut vivre longtemps dans le dur désert au sud de Beer-Sheba. Élie s’allonge sous un buisson et demande à Dieu de lui ôter la vie, affirmant qu’il n’est pas meilleur que ses pères. Les « pères » font probablement référence à ses prédécesseurs prophétiques, et Élie se lamente donc sur son découragement face à son manque de succès pour encourager les Israélites à être fidèles. Ironiquement, lorsque Jézabel demande la vie d’Élie, il ne veut pas la lui céder, mais il s’enfuit ensuite dans le désert et demande à Dieu de la prendre. L’effet est de se concentrer sur la crise qui crée la tension dans le récit : Elie va-t-il continuer à servir en tant que prophète de Dieu ou non ? 4

    Le contraste entre l’Elie du ch. 19 et l’Elie des ch. 17-18 est souvent attribué à une combinaison d’histoires provenant de sources autrefois indépendantes. Je soupçonne que les histoires peuvent à l’origine avoir été indépendantes, mais j’interpréterai la forme finale du texte plutôt que des versions antérieures conjecturées. Le chapitre 18 dépeint un prophète invincible qui tient tête sans crainte au roi et aux prophètes, mais l’Élie du chapitre 19 est vulnérable et sujet au découragement et à la peur. Élie désespère et renonce à sa vocation, mais la section suivante de l’histoire montre que Dieu n’est pas prêt à l’abandonner. {36}

    B : Le renouveau d’Élie commence (19:5-9a)

    Élie se couche sous un buisson et s’endort, illustrant son manque de vitalité et son manque de volonté ou son incapacité à poursuivre son ministère prophétique. Tout à coup, un messager de Yahvé le réveille et lui dit de manger et de boire. La plupart des traductions appellent ce messager un ange, mais le terme hébreu mal’āk signifie plus fondamentalement messager, et c’est le terme identique utilisé pour le messager que Jézabel avait envoyé à Élie (19:2). Jézabel envoie un messager de mort, mais Yahvé envoie un messager de vie qui sert à Elie de la nourriture et de l’eau, deux éléments essentiels à la survie dans le dur désert. 5 Élie mange, boit, mais s’endort à nouveau, indiquant qu’il n’est pas encore remis de sa léthargie. Le messager réveille à nouveau Elie et l’exhorte à manger et à boire, en lui fournissant cette fois une raison, « ou le voyage sera trop dur pour toi » (19:7).

    Le verset 8 commence par une série de verbes qui indiquent que la vitalité d’Elie a commencé à revenir. Il ne dort plus et ne cherche plus la mort, mais il se lève, mange, boit et part. Fort de cet unique repas, Élie voyage pendant quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb. Sur le plan réaliste, le voyage vers l’Horeb n’a guère de sens. Élie est fatigué et découragé, alors pourquoi faire un long voyage à travers un désert aride ? Dans certaines traditions de l’Ancien Testament, l’Horeb est le nom du mont Sinaï, la montagne associée à l’apparition de Dieu. Élie est présenté comme un second Moïse qui fait un pèlerinage au Sinaï, où Moïse a reçu son premier appel de Dieu (Exode 3, 1). Les quarante jours et les quarante nuits en rapport avec le mont Sinaï rappellent les deux séjours de Moïse sur le Sinaï pendant quarante jours et quarante nuits (Exode 24:18 ; 34:28). 6 De plus, le mont Sinaï est à jamais associé dans la tradition israélite à la conclusion d’une alliance, à la révélation de la Torah par Dieu et à la construction du tabernacle, la demeure terrestre de Yahvé.

    L’intérêt de l’histoire n’est pas seulement qu’Elie fasse un voyage physique au mont Sinaï, car le sens est beaucoup plus profond. Elie est en crise et veut mettre fin à la fois à son ministère prophétique et à sa vie. Dans un acte de pure grâce, Dieu intervient, fournit au prophète de l’eau et de la nourriture qui lui donnent la vie, et lui suggère un pèlerinage au mont Sinaï, le lieu qui est à jamais associé à la source et à l’essence de la foi israélite. Ce récit s’adresse à ceux qui, parmi le peuple de Dieu, sont usés, craintifs ou ont besoin de renouveau. L’histoire suggère une voie à suivre – manger et boire de la nourriture de Dieu qui donne la vie, revenir aux fondements de la foi, écouter la petite voix tranquille de Dieu. C’est peut-être la façon de trouver une nouvelle énergie, une nouvelle vision et un nouveau sens du but.

    C : J’ai été zélé (19:9b-10)

    Après qu’Elie soit arrivé à Horeb et ait passé la nuit dans une grotte, {37} Yahvé exige de savoir : « Que fais-tu ici, Elie ? ». (19:9b). Le ton de la question et le fait qu’elle soit répétée plus loin dans le récit suggèrent qu’il s’agit d’un reproche. 7 Les prophètes n’ont pas leur place au sommet d’une montagne isolée où se produisent des apparitions divines et des extases spirituelles, ils ont leur place dans le monde où ils accomplissent l’œuvre de Dieu. L’histoire est ambiguë en ce qui concerne le voyage à l’Horeb. D’un côté, il n’est guère inapproprié pour un prophète découragé de faire un pèlerinage à la source et au centre de la foi israélite, surtout lorsque c’est le messager divin qui suggère un tel voyage et fournit la nourriture et l’eau miraculeuses nécessaires à l’exténuant périple. Une fois arrivé à l’Horeb, l’apparition de Dieu et l’attribution d’une nouvelle mission redonnent de l’énergie à Élie et lui permettent de reprendre son ministère. Par contre, à deux reprises, Dieu pose la question réprobatrice : « Que fais-tu ici, Élie ? » (19:9, 13), et chaque fois le prophète répond en se lamentant sur le triste état des choses en Israël et sur la façon dont tout le fardeau du bien-être spirituel d’Israël repose sur ses épaules.

    Peut-être y a-t-il une signification théologique aux deux côtés de l’ambiguïté. Les serviteurs de Dieu sont appelés à faire des pèlerinages périodiques à l’Horeb, la source de la foi d’Israël, pour un renouvellement spirituel et pour être redynamisés pour le service dans le règne de Dieu. Mais en définitive, les serviteurs de Dieu ne sont pas appelés à vivre au sommet d’une montagne d’extase spirituelle, proches de Dieu mais loin du monde. Leur place est dans le monde, où ils accomplissent l’œuvre de Dieu au milieu des affaires de la vie quotidienne. Le renouveau d’Elie n’est pas complet tant qu’il n’a pas obéi à la commission de Dieu de quitter l’Horeb et de retourner au travail.

    La consommation de la nourriture vivifiante plus tôt dans l’histoire a marqué le début du renouveau d’Elie, mais sa réponse à la question de Dieu illustre que son renouveau est encore loin d’être complet. Élie se plaint, s’apitoie sur son sort et vante ses propres actions : « J’ai été extrêmement zélé pour Yahvé, Dieu des armées, mais les Israélites ont abandonné ton alliance, démoli tes autels, tué tes prophètes par l’épée, et il ne reste que moi, et on cherche à m’enlever la vie » (19,10). La mémoire sélective d’Élie l’amène à exagérer le négatif et à oublier son succès du chapitre précédent. 8 L’adoration de Baal par Israël constituait certes une rupture de l’alliance, mais après que Dieu ait envoyé le feu du ciel pour consumer le sacrifice et vaincre Baal, les Israélites confessent que Yahvé est Dieu (18,39). Ce sont ensuite les prophètes de Baal et non les prophètes de Yahvé qui sont massacrés (18,40). Elie déclare qu’il est le seul prophète de Yahvé qui reste, mais le chapitre précédent indique à deux reprises que le fidèle Abdias avait sauvé cent prophètes de Yahvé de la persécution de Jézabel (18:4,13).

    Le récit fait preuve de perspicacité psychologique en illustrant comment l’épuisement dans le ministère peut conduire à la fois au pessimisme sur la vie {38} du peuple de Dieu et à un sens exagéré de sa propre importance. Élie commence sa réponse à la question de Dieu par un hommage à ses propres efforts, opposant son propre zèle à l’infidélité des Israélites. Il semble croire que tout dépend de lui, puisqu’il conclut en affirmant qu’il est le seul prophète de Yahvé qui reste, et que maintenant sa vie est également en danger. 9

    D : Sors et tiens-toi debout (19:11a)

    Dans cette section, nous attendons la réponse de Dieu à la plainte complaisante d’Elie, mais aucune ne vient. Il semble que Dieu ne réponde pas directement aux revendications exagérées de suffisance, mais se contente d’instruire Élie de sortir et de se tenir sur la montagne devant Yahvé. Se placer devant Dieu a parfois le don de mettre les choses en meilleure perspective.

    E : Yahvé passe (19:11b-12)

    Yahvé passe accompagné d’un feu, d’un tremblement de terre et d’un vent si puissant qu’il brise les montagnes et les rochers. Ici encore, il y a des allusions à Moïse et aux événements de l’Exode. Moïse a connu le passage de Yahvé alors qu’il était protégé dans la fente d’un rocher (Exode 33,17-34,7). La théophanie de Yahvé au Sinaï comportait, entre autres, un tremblement de terre (Exode 19:18) et un feu (Exode 19:18 ; Deut. 5:22-26 ; 18:16). Cependant, 1 Rois 19 affirme à trois reprises que Yahvé n’était présent dans aucun de ces phénomènes dramatiques. Les éléments théophaniques traditionnels sont réduits à des phénomènes qui ne font qu’attirer l’attention d’Élie afin qu’il écoute la voix calme et ténue par laquelle Yahvé parle.

    Les nombreuses traductions de l’expression  » voix calme et ténue  » indiquent que nous ne sommes pas tout à fait certains de ce qu’elle signifie. Le mot hébreu qôl signifie soit  » son « , soit  » voix « , et le premier adjectif utilisé pour décrire la voix/son (dĕmāmâ) dénote la quiétude, l’immobilité, voire le silence. Le deuxième modificateur (daqqâ) signifie quelque chose qui a été rendu fin ou mince. L’implication est que la voix/le son par lequel Dieu parle est à peine audible, en contraste frappant avec les phénomènes qui précèdent la voix. Divers phénomènes dramatiques, dont le feu du ciel, jouent un rôle important dans le ministère d’Élie (1 Rois 18:38 ; 2 Rois 1:10, 12, 14 ; 2:11), mais 1 Rois 19 suggère qu’Élie doit aussi être ouvert à la communication de Dieu qui vient par des moyens simples et inattendus. La présence de Dieu dans l’immobilité peut être « tout aussi réelle et puissante que les forces cosmiques de la nature. » 10

    D’ : Elie sort et se tient debout (19:13a)

    Lorsqu’Elie entend la voix, il obéit à l’ordre qui lui a été {39} donné dans la section D (v. 11a) de sortir et de se tenir debout. Avant de se déplacer vers la bouche de la grotte, il enroule son manteau autour de son visage, vraisemblablement pour se protéger de la vision de la présence de Dieu qui entraînerait une mort instantanée (cf. Exode 33:20).

    C’ : J’ai été zélé (19:13b-14)

    Dieu demande à nouveau à Elie ce qu’il fait à Horeb, renforçant l’impression qu’il n’est pas entièrement ravi par le retrait du ministère de son prophète. La réponse d’Elie, identique à celle du v. 10, illustre qu’il ne s’est pas encore réengagé dans le ministère prophétique, et que l’apitoiement sur soi et une vision grandiose de sa propre importance sont encore un problème. 11

    B’ : Le renouvellement d’Elie est achevé (19:15-18)

    De nouveau, Dieu ne répond pas directement à la réponse égocentrique d’Elie, mais lui donne plutôt une nouvelle commission. Élie doit revenir sur ses pas, quitter l’Horeb et se rendre à Damas afin d’oindre Hazaël comme roi de Syrie ; puis il doit oindre Jéhu comme roi d’Israël et Élisée comme son propre successeur prophétique. Comme le dit si bien DeVries, « les doutes cesseront et les appréhensions disparaîtront lorsque Dieu le mettra à l’œuvre. » 12 Le retour d’Élie au pays signifie un retour au service de Dieu. 13 L' »apparition » de Dieu à Elie n’est pas une fin en soi mais vise à revitaliser le prophète afin qu’il puisse retourner dans l’arène sociale où Dieu a besoin d’agents pour mettre en œuvre les desseins divins. 14 La mission d’Élie comprend une parole de jugement pour Israël, car les trois personnes qu’Élie doit oindre vont chacune procéder à un horrible massacre des adorateurs de Baal. En substance, le ministère d’Élie doit se poursuivre comme auparavant : il doit promouvoir une loyauté absolue envers Yahvé, ce qui implique de faciliter le jugement des Israélites apostats. (Traiter des énormes problèmes théologiques d’un tel jugement et de l’intolérance religieuse devra faire l’objet d’un autre article.)

    Dans le recommissionnement, Dieu souligne l’existence de sept mille Israélites qui ne se sont pas engagés dans des rituels honorant Baal. Étant donné que les nombres sept et mille sont souvent des nombres symboliques de complétude dans la Bible (Gen. 4:15 ; Exod. 12:15 ; Josh. 6:4 ; Actes 6:3 ; Exod. 20:6 ; Deut. 1:11 ; Apoc. 20:3), sept mille souligne la taille substantielle du noyau de la communauté fidèle de Dieu. Élie n’a pas besoin d’être aussi découragé ou de se prendre autant au sérieux car il est loin d’être la seule personne engagée dans la cause divine.

    En 1 Rois 19, deux choses font sortir Élie de son état de découragement et de léthargie. L’une est une nouvelle commission de Dieu, et l’autre est l’assurance que la cause de Dieu a un avenir dans le monde qui ne dépend pas seulement de la réussite ou de l’absence de réussite personnelle d’Elie. 15 Une foi robuste {40} capable de résister à l’opposition et à l’échec requiert ces deux éléments : un fort sentiment d’appel à une mission, et la reconnaissance que la cause de Dieu dans le monde transcende de loin les efforts de tout individu au nom de cette mission.

    A’ : Elie retourne à son ministère prophétique (19:19-21)

    La dernière section du récit démontre que l’assurance et la remise en mission de Dieu ont l’effet désiré. Un Élie renouvelé et revigoré retourne à son ministère, et en appelant Élisée comme son successeur prophétique, il commence à accomplir les tâches assignées. Reconnaître la structure chiastique du récit empêche de minimiser l’importance de ces derniers versets en les séparant du reste de la narration 16 ou en les décrivant comme un addendum. 17 Une fonction clé de cette dernière section est de fournir un contraste avec l’état d’Élie au début de l’histoire et de démontrer que le renouveau d’Élie et son retour au ministère prophétique sont maintenant complets.

    Il est fréquemment noté qu’Élie n’exécute qu’une partie des instructions divines. Il n’oint pas Elisée mais se contente de placer sur lui son manteau prophétique. C’est Élisée qui oint effectivement Hazaël comme roi de Syrie (2 Rois 8:7-15), et c’est un des disciples d’Élisée qui oint Jéhu comme roi d’Israël (2 Rois 9:1-10). Ces divergences sont probablement dues aux origines indépendantes des traditions d’Élie et d’Élisée, 18 mais, dans la perspective du récit complet, il n’est pas nécessaire d’interpréter les actions ou l’absence d’actions d’Élie comme de la tiédeur, de l’infidélité ou la preuve qu’il a été relevé de sa fonction prophétique. 19 Au contraire, un acte d’Élie est rapporté pour signifier qu’il fonctionne à nouveau comme le prophète fidèle de Dieu. La dernière phrase du récit souligne qu’Élisée suit Élie et devient son assistant. Il est clair que 1 Rois 19 ainsi que le récit en cours indiquent qu’Élie finira par être relevé de ses fonctions prophétiques et que l’avenir appartient à Élisée, mais cela ne doit pas être interprété comme une critique d’Élie.

    Une analogie contemporaine pourrait être une personne âgée appelant et encadrant un jeune pour un poste de direction dans les affaires, l’université ou l’église. Nous n’interpréterions pas nécessairement une telle action comme une critique de la personne expérimentée, mais comme une reconnaissance de l’importance d’appeler et de nourrir la prochaine génération de leaders. Une partie de la réponse de Dieu au découragement d’Élie consiste à assurer un leadership prophétique continu afin qu’Élie réalise que tout ne dépend pas de lui. Le point important est qu’à travers le retour d’Élie au ministère et l’appel d’Élisée, le prophète plus âgé continue de jouer un {41} rôle significatif dans la poursuite des desseins de Dieu.

    Élisée vient d’une famille très riche, illustrée par le fait qu’il laboure avec douze jougs de bœufs (vraisemblablement chaque joug accompagné d’un laboureur) lorsqu’Élie lui remet le manteau prophétique. Pourtant, Élisée laisse tout derrière lui, fait ses adieux à ses parents et part à la suite d’Élie. Avant de le faire, il égorge son joug de bœufs et en donne la viande au peuple. Pour un fermier israélite, égorger ses bœufs équivaut à un fermier moderne qui met le feu à sa moissonneuse-batteuse. Élie brûle les ponts de son ancien mode de vie afin de pouvoir être fidèle à l’appel de Dieu.

    Manger de la viande était un plaisir rare pour les Israélites ordinaires, et donc le fait qu’Élisée nourrisse le peuple symbolise la valeur de la prophétie pour le peuple. Ceci est conforme à d’autres passages de l’Ancien Testament où la nourriture est une métaphore de la parole vivifiante de Dieu. 20 Dans Amos 8, 11-12, le jugement de Dieu sur la mort consiste en une famine, non pas de pain et d’eau, mais d’écoute de la parole de Yahvé. Dans Deutéronome 8, 3, Moïse déclare que le don de la manne par Dieu avait pour but d’enseigner aux Israélites que les humains ne vivent pas seulement de pain mais de tout ce qui sort de la bouche de Dieu. Le peuple de Dieu ne peut vivre sans la parole vivifiante de Dieu, et ce sont souvent les prophètes qui proclament cette parole vivifiante. La fourniture de viande par Elisée suggère que si les prophètes tiennent compte de leur appel, alors le peuple sera nourri. 21

    CONCLUSION

    Observer la structure chiastique de 1 Rois 19 met en évidence les différentes étapes que Dieu utilise pour renouveler un prophète fatigué, découragé et suicidaire. Il y a d’abord le contact du messager divin et le don de nourriture et d’eau, avec la suggestion d’un voyage spécial. Cette subsistance rend possible le pèlerinage d’Élie à l’Horeb, la montagne de Dieu. À deux reprises, Élie exprime son sentiment de frustration, indiquant que même si son énergie a commencé à revenir, son renouveau est loin d’être complet. Il faudra une nouvelle commande et le réconfort de la voix douce et tranquille de Dieu pour achever la transformation d’Élie. Dieu informe Élie que les plans et les desseins divins ne dépendent pas uniquement de lui, et il lui ordonne de revenir sur ses pas, de reprendre son ministère et d’accomplir des tâches spécifiques au nom de Dieu. L’histoire se termine avec l’Élie renouvelé qui appelle et encadre Élisée pour être son assistant et son successeur qui portera le flambeau après son départ de la scène.

    Puisse cette discussion de 1 Rois 19 contribuer, au moins dans une petite mesure, au renouvellement du peuple de Dieu, car elle encourage la réflexion sur la façon dont les voies de Dieu avec Élie pourraient correspondre aux voies de Dieu avec nous. {42}

    NOTES

    1. Voir par exemple G. H. Jones, 1 and 2 Kings, New Century Bible Commentary (Grand Rapids, MI : Eerdmans, 1984), 2:331 ; et surtout Ernst Würthwein, « Elijah at Horeb : Reflections on 1 Kings 19:9-18, » in Proclamation and Presence : Old Testament Essays in Honour of Gwynne Henton Davies, ed. John I. Durham et J. R. Porter (Richmond, VA : John Knox Press, 1970), 152-66.
    2. Toutes les traductions des textes bibliques sont de l’auteur.
    3. La deuxième question-réponse (19:13b-14) est parfois considérée comme un ajout au texte nécessaire pour reprendre le récit après l’interpolation supposée maladroite de la théophanie en 19:11-13a. Voir Würthwein,  » Elijah at Horeb « , 159-62, dont l’analyse est acceptée par Jones, 1 and 2 Kings, 2:331. La structure chiastique du récit indique que le texte achevé est une création délibérée et artistique et que nous faisons bien de rechercher la signification de tous ses traits, plutôt que de considérer certaines parties comme des ajouts ou des distorsions maladroites.
    4. Robert B. Coote, « Yahweh Recalls Elijah, » in Traditions in Transformation : Turning Points in Biblical Faith, ed. Baruch Halpern and Jon D. Levenson (Winona Lake, IN : Eisenbrauns, 1981), 116 ; Richard D. Nelson, First and Second Kings, Interpretation (Atlanta, GA : John Knox Press, 1987), 126.
    5. Alan J. Hauser, « Yahweh Versus Death : The Real Struggle in 1 Kings 17-19 », in From Carmel to Horeb : Elijah in Crisis, ed. Alan J. Hauser, Journal for the Study of the Old Testament Supplement Series 85 (Sheffield, Angleterre : Almond, 1990), 64.
    6. Pour une discussion plus approfondie des parallèles et des différences entre Moïse et Elie, voir Mordechai Cogan, 1 Kings, Anchor Bible (New York : Doubleday, 2001), 456-57 ; Brian Britt, « Prophetic Concealment in a Biblical Type Scene », Catholic Biblical Quarterly 64, no. 1 (2002) : 37-58.
    7. Hauser, « Yahweh Versus Death, » 71 ; Gene Rice, Nations Under God : A Commentary on the Book of 1 Kings, International Theological Commentary (Grand Rapids, MI : Eerdmans, 1990), 158 ; Terence E. Fretheim, First and Second Kings, Westminster Bible Companion (Louisville, KY : Westminster John Knox, 1999), 109.
    8. Iain W. Provan 1 et 2 Rois, New International Biblical Commentary (Peabody, MA : Hendrickson, 1995), 145.
    9. Bernard P. Robinson va jusqu’à parler de la « mégalomanie » d’Elie dans « Elijah at Horeb, 1 Kings 19:1-18 : A Coherent {43} Narrative ? » Revue biblique 98, no. 4 (1991) : 534 ; voir aussi pp. 528-30.
    10. Rice, Nations Under God, 162. Pour une discussion détaillée des diverses interprétations de la  » voix calme et mince « , voir Robinson,  » Elijah at Horeb « , 522-27.
    11. Nelson, First and Second Kings, 125.
    12. Simon J. DeVries, 1 Kings, Word Biblical Commentary (Waco, TX : Word, 1985), 237.
    13. Coote,  » Yahweh Recalls Elijah « , 119. Mon interprétation contredit l’affirmation de Robinson selon laquelle, loin de rétablir Élie dans son ministère, Yahvé le contraint à démissionner. Voir également Cogan, 1 Rois, 457. Robinson affirme que parce qu’Élie a fui son ministère, parce qu’il a trahi Yahvé et parce qu’il a une vision si grandiose de lui-même, Dieu n’a plus besoin de lui et lui ordonne donc de remettre son ministère à Élisée. Voir  » Elie à Horeb « , 528-31. L’analyse de Robinson dépend d’une lecture de 1 Rois 19 largement isolée du récit en cours et minimise le fait qu’Élie continue à fonctionner comme le prophète loyal de Yahvé (1 Rois 21, 17-28 ; 2 Rois 1, 1-18) qui est conduit au  » ciel  » par le tourbillon de Dieu, vraisemblablement en récompense de son ministère fidèle (2 Rois 2, 1-12), et dont le manteau et l’esprit prophétiques continuent à avoir du pouvoir même après son départ (2 Rois 2, 13-15).
    14. Walter Brueggemann, 1 Rois, Knox Preaching Guides (Atlanta, GA : John Knox, 1982), 90.
    15. Nelson, First and Second Kings, 129.
    16. Cf. DeVries, 1 Rois, 238-40 ; Robinson, « Elijah at Horeb, » 530.
    17. Cf. Walter Brueggemann, 1 &2 Rois, Smyth and Helwys Bible Commentary (Macon, GA : Smyth &Helwys, 2000), 234.
    18. Voir Cogan, 1 Rois, 457.
    19. Voir note 13.
    20. Coote, « Yahvé rappelle Elie, » 119-20.
    21. Ibid, 120.
    Dan Epp-Tiessen est professeur adjoint de Bible à l’Université mennonite canadienne de Winnipeg, au Manitoba. Il est titulaire d’une maîtrise de l’Université du Manitoba et d’un doctorat de l’Université de St. Michael’s College à Toronto. Michael’s College à Toronto. Il a travaillé pour le Mennonite Central Committee, s’est occupé de son foyer et a exercé un ministère pastoral.